Suite de l'article d'hier...
Donc on a les résultats de l'exam grosso modo mi-Novembre. S'enclenche alors la grande course contre la montre de l'inscription à l'Ecole.
Parce que là se situe la première grande problématique, à mon sens : L'Ecole.
Pour ce qui est du Sud-Est, les élèves avocats sont donc regroupés en une seule et même école, l'école de Marseille. Alors vous me direz, Marseille, c'est pas loin de Nice. Sauf que les Corses, également, doivent aller à Marseille...
Je pense que le CNB a du réfléchir très fort, et que les Barreaux également ont dû le faire, mais créer une école centrale, qui regroupe des élèves-avocats (EA ci-après, sinon je vais galérer) qui ont vocation à aller dans divers barreaux qui, pour certains, ont des pratiques juridiques et juridictionnelles tout à fait différentes, est à mon sens une grosse erreur. Et mon avis est partagé par la grande majorité des élèves.
Alors oui, ça crée du lien social inter-barreau, on s'enrichit au contact des autres, mais au final, quand je vois des copains qui ont eu l'exam avant moi, quand je vois les jeunes avocats de mon Barreau, je me dis que oui, ils ont bien aimé leurs années à Marseille, mais que la question qui résonne quotidiennement dans leur tête n'est pas savoir quand sera le prochain apéro avec ses amis de promo, mais de savoir comment ils vont faire pour finir ce dossier en urgence, que son boss lui a refilé à la dernière seconde, et qui passe avant son dossier perso, puisque c'est le boss, donc celui qui l'emploie, qui lui a donné.
Le jeune avocat ne veut pas des soirées de folie, des activités à gogo avec ses anciens camarades (enfin, si, mais pas de façon prioritaire). Le jeune avocat veut vivre décemment de son travail et veut pouvoir l'exercer dans de bonnes conditions.
Je crois que la formation de l'EA doit INTRINSEQUEMENT ET INTIMEMENT être liée avec le futur barreau du jeune EA. Je crois que dans une profession qui se dit et qui agit de façon corporatiste (je ne critique pas le corporatisme, je le trouve salutaire pour la profession), les aînés doivent initier les jeunes entrants dans l'Avocature et dans un Barreau particulier.
Il est impératif que les avocats, pour survivre et s'assurer d'une relève de qualité, soient au cœur même de la formation. Ils le sont, mais d'une façon parasitaire. Je m'explique : dans les cours de procédure que j'ai pu suivre (pénal, civil, admin), on a beaucoup parlé de la théorie, mais peu de pratique : en effet, même si on a pu s'essayer au jeu des cas pratiques en direct, beaucoup d'avocats, et c'est du vécu, nous ont dit : « je sais pas comment ça se passe à Nice, mais chez nous.... », etc etc
C'est là qu'à mon sens, à l'instar de ce qu'il se faisait avant, il faut que les écoles des avocats se recentrent sur la pratique locale et que les écoles reviennent dans les ressorts des TGI. Ca suffit, cette école régionale qui ne sert, au final, qu'à connaître pendant 6 mois quelques autres jeunes EA.
Petite parenthèse explicative: la formation, c'est 18 mois. Pour faire bref, 6 mois à l'école, 6 mois en entreprise, juridictions ou autre profession du droit ou à la fac pour un master, et enfin 6 derniers mois de stage en cabinet.
C'est là que vont se poser les premières difficultés financières.
J'ai eu la grande chance que Pole Emploi me laisse bénéficier de mon indemnité chômage, jusqu'à ma fin de droit. Sans cette aide, je n'aurais JAMAIS pu rentrer à l'école, malgré la réussite à l'exam, parce que ça coute trop cher.
Je m'explique :
L'école est à Marseille. Cela implique donc 2 choses : soit on loue un appart sur place, soit on fait les AR en voiture dans la journée, sachant qu'entre le trafic du matin et de fin de journée, yen a facile pour 2 heures de route.
J'ai fait le choix de prendre une colocation. Avec mon binôme d'exam, et une autre copine. On a réussi à trouver un super appart meublé pas trop loin de l'école, qui nous coutait 1500 Euros par mois. (je n'avais pas le droit aux APL, étant donné que j'avais déclaré mes revenus plus tôt, et que clairement, je n'en avais pas besoin... sauf que si...)
Au final, à la vue de l'organisation des cours, on aurait pu se poser la question des AR en bus/train/voiture. Ceux qui ont choisi la solution des AR ont fini l'année dégoutés par Marseille, exténués par le trajet. Mais ils n'avaient pas le choix, soit parce qu'ils avaient un autre appart à payer à côté, etc etc.
J'ai fait pas mal d'AR (toujours en train, pour économiser ma voiture) pendant ces 6 mois, particulièrement pour rentrer auprès de monsieur, de mes amis et de ma famille.
Je ne saurais pas dire aujourd'hui ce qui est le mieux. Le seul consensus qu'on en tire est que les gens qui ont fait beaucoup d'AR ont fini dégoutés de l'Ecole, et ceux qui logeaient sur place ont fini également dégoutés de l'Ecole à cause d'emplois du temps très variables, et du manque de rentabilité de l'appartement.
Je ne commenterai même pas le fait que les corses devaient aussi venir à Marseille, certains n'avaient pas les moyens de faire les AR continent/île et n'avaient pas les moyens non plus de louer un appartement... Autant dire que pour ceux là, ça a été une vraie vraie galère.
Les cours, maintenant...
Alors là, je ne peux rien dire quant à l'organisation des cours : en effet, même si nos emplois du temps étaient ubuesques et pouvaient changer le jour même, il faut dire, pour être fair-play, que nos enseignants étaient tous avocats, donc soumis à des contraintes professionnelles tout à fait compréhensibles.
Ce qui m'est resté un peu en travers de la gorge est l'enseignement : nous avons eu quelques profs extras, ça c'est sûr, mais certains ont un peu moins joué le jeu que d'autres, en ne voulant pas nous confronter à des dossiers de leurs cabs (qu'ils auraient pu camoufler, sans pb), en ne nous donnant pas de réponses à des actes que nous devions rédiger et en ne nous servant que de la théorie que l'on a tous appris à la fac. Dommage... je suis arrivée à l'Ecole avec un cerveau en béton, j'en suis ressortie avec un cerveau de poulpe.
J'ai eu aussi beaucoup de somptueux moments de solitude là bas, en particulier dans les cours portant sur les matières classiques du droit, comme le droit pénal, la procédure pénale ou encore la procédure administrative... J'avoue que mon parcours atypique, s'il peut être une grande force, a été aussi très souvent mon pire ennemi durant ces 6 mois.
J'ai aussi particulièrement détesté le climat de l'école...On peut avoir ce cliché de l'étudiant de droit très preppy, très BCBG, et j'avoue qu'une certaine partie mes camarades étaient vraiment dans le cliché le plus total. L'Ecole n'a pas aidé à la détente générale en nous obligeant, à partir du mois de Mai à ne plus porter de tongs, de bermudas ou de débardeurs. Je veux bien qu'on veuille nous faire ressembler à des mini-avocats mais là, c'était n'importe quoi... surtout dans une école sans clim, à Marseille, en plein mois de Juin/Juillet.
Ce que je retiendrai, au final, de ces 6 mois de Marseille, je crois que c'est cette routine, cette vie de voyageur en transit, toujours entre 2 gares, 2 villes. Vraiment une période que j'ai trouvée triste.
C'est aussi durant le dernier mois de Juin que j'ai appris que Pole Emploi ne pourrait pas financer le reste de ma formation, et que dès le mois de Juillet, j'étais solo.
Donc comme je vous l'ai dit, besoin de bosser pour vivre, j'ai dû finir l'Ecole en catastrophe et louper la dernière semaine de cours. J'ai fini le 30 au soir à Marseille, j'ai pris ma voiture et je suis rentrée sur Nice, après la soirée de fin de ma classe, parce que le lendemain, 14h, je commençais mon boulot de femme de chambre de palace.
Autant dire que cet été non plus, j'en ai pas profité... J'ai pu remarquer par contre combien d'autres ont pu, eux, en profiter, dans ce somptueux palace...
Mais bon, besoin d'argent, l'Ecole ayant englouti toutes mes économies.
En Septembre, décision quant à mon PPI, ma période de 6 mois en « projet personnel individuel ». J'ai choisi la voie du Master 2 pour la simple raison que les 2 autres masters que j'avais n'étaient pas des masters de droit français pur. J'ai donc décidé de faire un Master en immobilier/urba, des domaines qui me plaisaient bien.
Septembre, début des cours... Pas d'argent, c'est le leitmotiv de l'EA. J'ai donc bossé en parallèle 1 mois et demi dans une collectivité pour me faire un peu de sous et pouvoir payer accessoirement mes impôts.
J'ai pris un appart en coloc sur Nice, toujours avec mon binôme, parce que je ne pouvais pas me permettre, et elle non plus (paupérisation massive chez les EA) de prendre un appart toute seule.
J'ai du également prendre un job à l'année, en tant que pionne dans un internat dans un lycée niçois. J'y bosse 2 nuits par semaine, pour la folle somme de 600 Euros par mois.. à peine de quoi payer mon crédit de voiture, payer mon loyer, mon téléphone et de quoi manger, s'il en reste un peu...
La stage cab obligatoirement rémunéré... autant vous dire que c'est une blague...
Je ne vois pas comment on peut imposer à un avocat qui a déjà des tonnes de charges sur ses fesses de devoir, en plus, pourvoir au salaire du jeune EA.
Pour ça, je suis pour une solution beaucoup plus radicale : je milite pour que chaque année, on prenne moins de jeunes EA aux exams d'entrée, parce que de toutes les façons, combien restent sur le carreau après, sans collab ?
Un vrai numerus clausus à l'entrée, en fonction des capacités réelles d’absorption des Barreaux, et pas un exam où seule une moyenne générale compte.
Une rémunération fixe pour chaque EA de l'entrée de l'Ecole au CAPA, prise en charge non plus par le seul maître de stage, mais par le CNB lui-même.Une formation/rémunération qui aurait pour but de responsabiliser les jeunes EA et aussi de les valoriser, ce qu'ils ne sont nulle part et enfin de vraiment créer ce sentiment d'émulation corporatiste. Ce sont chacun des avocats de France qui prennent en charge la formation des jeunes.
Alors c'est facile de critiquer, mais je le dis comme je le pense.
Les Ecoles d'Avocat, ou du moins celle que je connais, sont des machines à paupérisation. Je peux dire sans rougir que je vis bien en deçà du seuil de pauvreté puisque je touche 580 Euros par mois, et basta. Je dois me débrouiller avec ça pour payer loyer, charges, nourriture...
Alors voilà, j'ai des dettes, des emprunts sur le dos, mais je n'ai pas le choix. Cette formation m'a remis dans une situation de précarité extrême qui ne me laisse aucun choix quant à ma future carrière : je ne peux pas assumer financièrement de devenir avocat. Je vais devoir passer par la case entreprise pendant quelques temps pour pouvoir assainir mes comptes. Je n'ai personne derrière moi pour m'aider en cas de coup dur, et il est hors de question que je demande à monsieur de m'aider. J'ai voulu reprendre mes études, j'assume jusqu'au bout.
Alors oui, je comprends la crise des vocations.
Cette formation a un vrai coût pour les jeunes dont les familles n'ont pas grand-chose (et encore, je ne suis pas la pire, loin de là)...
Comment, dans ces conditions, envisager sereinement la collaboration, tant elle est couteuse psychologiquement, physiquement, et financièrement ?
Je crois, pour avoir observé autour de moi, qu'il existe un vrai décalage entre ce que les gens pensent que nous sommes et ce que nous sommes vraiment.
Les EA ne sont pas que des fils/filles à papa... Il y a aussi des jeunes gens qui aiment le droit, qui aimeraient en faire leur métier et vivre honnêtement de leur travail.
Mais quand tu vois les conditions d'accueil dans les cabinets qui usent leurs jeunes avocats à la chaîne et les jettent comme des malpropres, on se dit que quand même, tout ça pour ça...En même temps, c'est la dure loi de la profession libérale...
Je sais que ce que je dis peut paraître pessimiste, mais j'essaie de coller à la réalité des jeunes avocats, de ce que beaucoup, autour de moi, ressentent.
Alors oui, le travail est beau, et mérite qu'on s'y livre corps et (presque) âme... Mais à quel prix ?